COMME LES AILES SERVENT POUR VOLER,
JE CRÉERAI DES AILES POUR CES MOTS
QUI SEMBLAIENT S’ÊTRE IMMORTALISÉS EN MOI
J’ouvrirai les écluses
j’inonderai de mes mots les populations voisines
pour rencontrer enfin mon destin.
Mon destin de sucres et de fleurs d’orangers.
Pays de la folie
où transitent librement
des animaux sauvages et des oies dorées.
Royaume
des doux passages de langue au cul
ou des étranges et inquiétantes traversées nocturnes
là où aimer le prochain, était en vérité, notre seul but.
Anémones
jetons des anémones aux yeux des malvivants
cherchons sur leurs peaux
le tendre baiser d’une mère étrangère et sombre
Ève d’Adam, déesse des tristes putains d’occident,
montre-leur la pomme
loge dans ton sein ce qui devra mourir.
Je passe
mes journées
à marcher
dans les rues
du centre
de Madrid
et, aussi,
de Buenos Aires.
Et personne
ne peut expliquer
ce phénomène grandiose
voir comment
un homme
écrit
des vers moteurs
qui lui permettent de voler
sans bouger de là où il est.
Le matin
je prends mon café
avec trois media lunas* et une femme,
près de l’Obélisque **
et en pensant
à Gardel.
À midi,
je mange dans une tasca*** des calamars frits
et des crevettes grillées
et des patatas bravas et du vin aussi.
L’après-midi,
je dors dans l’océan
et je ne suis de personne
ni Falla, ni Gardel.
Et le soir, je dîne
sans plus aucun espoir
de trouver ma patrie
mes amours, ma maison.
N.d.t :
* petits croissants typiquement argentins
** monument de la principale avenue de Buenos Aires
*** petit restaurant typique de Madrid
De la mer de mon pays je peux tout
dire.
Parler de ses couleurs et de sa mansuétude.
La mer de mon pays semble une prairie.
Croissent en pleine mer des acacias et des géraniums
comme dans la maison du grand-père Antonio.
Cette prairie bleue éclate de
couleurs
quand au printemps fleurissent ses femmes.
À l’aube on tendait les filets
tissés dans le foyer
à la mains par de vieilles femmes en robes de soie
portant de grands peignes d’ivoire
qui jamais, disait mon père, ni même dans les fêtes
n’embrassaient leurs fils.
Quand les hommes revenaient, avec
leurs prises, de la mer
ces cérémonies avaient alors un sens.
C’était la vie même
qui m’amenait
par des chemins injustes de désamour.
Chaque fois que je sortais
pour marcher
les yeux fermés
le mal me renversait.
Il me laissait par terre
dans un état déplorable
et il me disait : mon pauvre !
un jour tu pourras.
Quand j’arrivais chez moi
ma femme m’attendait
très contente et bien belle
en train de danser avec son orchestre
Je suis brisé , lui dis-je,
et elle me dit, aussi.
La chanson me donne du courage
et danser me fait du bien.
Regarde mes seins qui dansent
on dirait deux papillons
et mon cul et ma taille
font partie de la danse
Je n’en peux plus, lui ai-je dit,
moi je vais dormir
et elle, elle m’a dit, clairement,
moi je reste avec l’orchestre.
J’ai rêvé toute la nuit
de ses seins ailés
sa taille d’argent
son regard extasié.
Le rêve fut très bizarre
elle bougeait, sautait et dansait
et moi-même, dans le rêve
je bougeais, sautais et dansais.
Chaque fois que je sortais
pour marcher
les yeux fermés
le mal me renversait.
Il me laissait par terre
dans un état déplorable
et il me disait : mon pauvre !
un jour tu pourras.
Tu habiteras le sud
tu t’appelleras Miguel
et tu auras dans la voix
le murmure de la Méditerranée
et le don de la parole.
Tu seras beau, Miguel,
(tout bon guerrier doit être beau).
Le soleil de tes ancêtres sera ton histoire.
Pour que brille ton regard
tu auras de la haine.
Tu devras être aimable et délicat
parce que quand éclatera la guerre
mon fils
tu t’occuperas des enfants.
Il faut voir dans quel état s’est mis
ma voisine l’autre jour
quand je me suis mis à chanter
le rock qui l’enchante.
Ma voisine pleurait
riait et dansait
elle se touchait les jambes
et même le cœur.
Moi je continuais à chanter
sans me rendre compte
que nous avions rassemblé
tout le voisinage.
Elle, qui se rendait compte
que les voisins nous regardaient,
dansait de plus en plus
et se touchait les fesses.
En voyant qu’elle remuait
avec talent et distinction
j’ai chanté de plus en plus fort
plus de rock et avec plus d’amour.
Elle, elle criait, contente
tandis que je suivais le rythme :
« tu verras, tu verras
tout le quartier dansera ».
Elvira, la professeur
de sciences naturelles,
enlevait sa chemise
tout en se serrant contre moi.
Son mari, qui étudiait
les sciences comparatives,
en voyant qu’elle me plaisait
voulait se suicider.
La femme le consolait
en criant à tue-tête :
« C’est notre chanteur, ne souffre pas
viens et embrasse-le aussi. »
Le mari se précipita
pour m’embrasser sur la bouche
et ma voisine jalouse
réprimanda sévèrement le pauvre homme:
Si tu embrasses le chanteur
moi j’embrasserai ta femme
et je te promets, je te jure
qu’elle ne reviendra jamais.
Et après la chanson
le chanteur doit dîner
et il le fera dans ma chambre
même si ça tourne très mal pour nous.
Je veux vous dire, ma voisine,
que tout cela a été un grand rêve.
Moi je n’ai pas chanté, et il n’y a pas de professeur
et de votre fauteuil roulant, vous n’avez jamais bougé.